Dans un contexte de décentralisation croissante, les régions françaises ont acquis un rôle prépondérant dans l’organisation et le financement de la formation professionnelle. Cette évolution majeure redessine le paysage de l’apprentissage et de la formation continue, plaçant les collectivités territoriales au cœur des enjeux d’employabilité et de développement économique local. Examinons en détail comment les régions assument cette responsabilité cruciale et façonnent l’avenir professionnel de millions de Français.
Le cadre juridique de l’intervention régionale en matière de formation professionnelle
La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a considérablement renforcé les compétences des régions dans ce domaine. Cette réforme s’inscrit dans la continuité des lois de décentralisation initiées depuis les années 1980. Désormais, les régions sont chargées de l’élaboration du Contrat de Plan Régional de Développement des Formations et de l’Orientation Professionnelles (CPRDFOP), document stratégique qui définit les orientations en matière de formation sur le territoire.
Le Code du travail, dans ses articles L6121-1 et suivants, précise les attributions des régions. Elles sont notamment responsables de la politique régionale d’accès à l’apprentissage et à la formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle. Comme l’a souligné Maître Jean Dupont, avocat spécialisé en droit du travail : « Les régions sont devenues de véritables chefs d’orchestre de la formation professionnelle, avec un pouvoir décisionnel et financier considérable. »
Le financement régional de la formation professionnelle
Les régions disposent de ressources financières importantes pour mener à bien leur mission. En 2021, le budget global consacré à la formation professionnelle par l’ensemble des régions françaises s’élevait à environ 8,5 milliards d’euros. Ces fonds proviennent principalement de dotations de l’État et de la part régionale de la taxe d’apprentissage.
La répartition de ces financements s’effectue selon plusieurs axes prioritaires :
– L’apprentissage et l’alternance (environ 40% du budget)
– La formation des demandeurs d’emploi (30%)
– La formation continue des salariés (20%)
– L’orientation et l’information sur les métiers (10%)
Maître Sophie Martin, experte en droit de la formation professionnelle, explique : « La gestion de ces fonds par les régions permet une allocation plus fine et adaptée aux réalités économiques locales. C’est un levier puissant pour répondre aux besoins spécifiques des territoires. »
L’élaboration de la stratégie régionale de formation
Le CPRDFOP est l’outil central de la politique régionale de formation. Son élaboration implique une concertation approfondie avec l’ensemble des acteurs concernés : partenaires sociaux, entreprises, organismes de formation, Pôle Emploi, etc. Ce document fixe les objectifs à moyen terme (généralement 5 ans) en matière de formation professionnelle.
La stratégie régionale s’articule autour de plusieurs axes :
1. L’analyse des besoins en compétences du territoire
2. La définition des secteurs prioritaires
3. L’adaptation de l’offre de formation aux évolutions du marché du travail
4. Le développement de filières d’excellence
5. L’accompagnement des publics les plus éloignés de l’emploi
« Le CPRDFOP est bien plus qu’un simple document administratif », affirme Maître Pierre Durand, spécialiste du droit des collectivités territoriales. « C’est une véritable feuille de route qui engage l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle sur le territoire. »
La mise en œuvre opérationnelle : l’exemple des Pactes régionaux d’investissement dans les compétences
Pour concrétiser leur stratégie, les régions disposent de plusieurs outils opérationnels. Les Pactes régionaux d’investissement dans les compétences (PRIC), lancés en 2018, en sont une illustration emblématique. Ces pactes, conclus entre l’État et les régions, visent à former un million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et un million de jeunes éloignés du marché du travail sur la période 2018-2022.
Dans le cadre des PRIC, les régions ont mis en place des actions innovantes :
– Des formations courtes et modulaires adaptées aux besoins immédiats des entreprises
– Des parcours de formation intégrant des périodes en entreprise
– Des dispositifs de formation à distance pour les zones rurales
– Des programmes spécifiques pour les métiers en tension ou émergents
Maître Claire Dubois, avocate en droit social, souligne : « Les PRIC ont permis aux régions d’expérimenter de nouvelles approches de la formation, plus agiles et plus proches des réalités du terrain. »
Le rôle des régions dans l’apprentissage : un enjeu majeur
Bien que la loi du 5 septembre 2018 ait recentré le pilotage de l’apprentissage au niveau national, les régions conservent un rôle important dans ce domaine. Elles interviennent notamment pour :
– Soutenir financièrement les Centres de Formation d’Apprentis (CFA) dans les zones rurales ou pour des filières stratégiques
– Verser des aides aux apprentis pour le transport, l’hébergement et la restauration
– Coordonner le développement de l’apprentissage avec les besoins économiques locaux
En 2020, malgré la crise sanitaire, le nombre de contrats d’apprentissage a atteint un niveau record de 525 600 contrats signés, témoignant du dynamisme de cette voie de formation. « L’implication des régions dans l’apprentissage reste cruciale pour maintenir un maillage territorial équilibré et soutenir les filières d’avenir », explique Maître Éric Leroy, spécialiste du droit de l’apprentissage.
L’articulation avec les autres acteurs de la formation professionnelle
Si les régions jouent un rôle central, elles doivent coordonner leur action avec de nombreux autres acteurs :
– Les branches professionnelles, qui définissent les besoins en compétences de leurs secteurs
– Les Opérateurs de Compétences (OPCO), qui financent l’apprentissage et accompagnent les TPE-PME dans leurs besoins de formation
– France Compétences, l’autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage
– Les organismes de formation publics et privés
Cette gouvernance complexe nécessite une coordination étroite. « Les régions ont un rôle d’ensemblier », analyse Maître Valérie Petit, avocate spécialisée en droit de la formation. « Elles doivent faire converger les intérêts parfois divergents de ces différents acteurs vers des objectifs communs. »
Les défis à relever pour les régions
Malgré les progrès réalisés, les régions font face à plusieurs défis dans l’exercice de leur compétence en matière de formation professionnelle :
1. L’adaptation rapide aux mutations économiques et technologiques : l’émergence de nouveaux métiers et la transformation digitale imposent une réactivité accrue.
2. La réduction des inégalités territoriales : certaines zones rurales ou en reconversion industrielle peinent à offrir une offre de formation diversifiée.
3. L’accompagnement des publics les plus fragiles : les personnes peu qualifiées ou en situation de handicap nécessitent des dispositifs spécifiques.
4. La simplification administrative : la complexité des procédures peut freiner l’accès à la formation, en particulier pour les TPE-PME.
Maître Antoine Rousseau, expert en politiques publiques de formation, conclut : « Les régions ont fait la preuve de leur capacité à innover et à s’adapter. Leur rôle sera déterminant pour relever le défi des compétences dans les années à venir. »
Le rôle des régions dans la formation professionnelle s’est considérablement renforcé au cours des dernières décennies. Dotées de compétences étendues et de moyens financiers conséquents, elles sont devenues des acteurs incontournables de l’écosystème de la formation. Leur capacité à articuler vision stratégique et mise en œuvre opérationnelle, en coordination avec l’ensemble des parties prenantes, est un atout majeur pour répondre aux défis de l’emploi et de la compétitivité des territoires. Dans un contexte économique en mutation rapide, la formation professionnelle pilotée par les régions apparaît plus que jamais comme un levier essentiel de développement et de cohésion sociale.